L’histoire du château

Un Joyau Architectural en Normandie

Surplombant majestueusement la vallée de la Seine, le château d’Ételan à Saint-Maurice-d’Ételan offre l’un des panoramas les plus saisissants de Normandie. Ce monument, dont l’histoire remonte au Moyen Âge, témoigne de l’évolution architecturale et sociale de la région à travers les siècles.

Des origines médiévales

Le fief d’Ételan appartenait initialement à la famille du même nom. En 1402, Guillaume d’Ételan en était le seigneur. Après la guerre de Cent Ans, le domaine change de mains et entre dans la famille Picard grâce à un don accordé par Louis XI à Guillaume Picard en 1468.

Ce changement de propriétaire n’est pas anodin : Guillaume Picard connaît une ascension fulgurante au service du roi. D’abord simple greffier civil de l’Échiquier de Normandie en 1455, il gravit rapidement les échelons : notaire et secrétaire du roi, procureur à la Cour des Aides de Rouen, général des finances de Normandie, et même capitaine d’Abbeville. En 1481, il cumule les postes prestigieux de chambellan du roi, bailli de Rouen et capitaine d’Abbeville.

La première transformation sous Guillaume Picard

Entre 1468 et 1475, Guillaume Picard entreprend d’importants travaux qui donnent au château sa physionomie fondamentale. Séduit par le panorama incomparable sur la vallée de la Seine, il fait reconstruire l’édifice en conservant certains éléments plus anciens, notamment des murs en petit appareil de pierre et la cave voûtée.

Le château adopte alors un style caractéristique avec un premier étage en assises alternées de briques et de pierres, et des fenêtres à croisées dont l’ébrasement présente deux chanfreins séparés par un réglet. La visite du roi Louis XI à Ételan en 1475 témoigne de l’importance acquise par ce domaine et son propriétaire.

Louis Picard et l’évolution vers la Renaissance

À la fin du XVe siècle, Louis Picard, fils de Guillaume, hérite du domaine. Marié à Charlotte Luillier, il bénéficie comme son père de la faveur des grands du royaume, notamment de Louis II d’Orléans, gouverneur de Normandie.

En 1494, Louis II d’Orléans fait don à Louis Picard de 700 livres tournois pour « subvenir et aider à réédifier sa maison dudit Estellant ». Ces documents attestent que d’importants travaux sont réalisés entre 1494 et 1496, période durant laquelle Louis Picard est parfois absent car participant aux guerres d’Italie. On peut imaginer que sa femme Charlotte Luillier supervisait alors le chantier en son absence.

Le couple apporte des modifications significatives au château. Ils font notamment ériger une tour d’escalier d’une forme inhabituelle à l’angle rentrant formé par les deux corps de logis. Cette tour, probablement couverte en terrasse à l’origine, présente un escalier à rampes droites et moitiés tournantes, qui dégage à chaque niveau un grand palier ouvert sur la cour par de grandes arcades. Les lucarnes en pierre sont également refaites, avec un décor caractéristique encadré par des pilastres carrés et un fronton à fleurons, mouchettes et étrésillons gothiques.

Les propriétaires successifs

Après le décès de François Picard, fils de Louis qui n’eut pas de descendance, la seigneurie passe en 1531 à sa sœur aînée, Madeleine, épouse de Jean d’Esquetot. Leur fille unique, Charlotte d’Esquetot, mariée à Charles de Cossé, baron de Brissac et maréchal de France, en hérite en 1557.

Le couple reçoit au château le roi Charles IX et Catherine de Médicis en 1563, après le siège du Havre. Le domaine passe ensuite aux générations suivantes de la famille de Cossé.

Un aménagement remarquable

Le château d’Ételan se distingue par son aménagement en trois ensembles distincts : le logis seigneurial au sud, un ensemble d’écuries appelé « haras », et une « basse-court » au nord comprenant des bâtiments agricoles.

Le logis principal se compose de trois corps juxtaposés : un corps central flanqué d’une chapelle à l’est et d’un corps secondaire à l’ouest. L’intérieur était organisé selon les usages de l’époque, avec une grande salle au rez-de-chaussée du corps principal, accompagnée d’une « salle pavée » plus petite, tandis que la cuisine et la « sommelerye » se trouvaient dans le corps secondaire.

Au premier étage se trouvaient les chambres principales, dont la « grande chambre » avec sa garde-robe et son cabinet, la « chambre d’Esquetot » (celle du seigneur), la « chambre de la Royne » (probablement en souvenir d’une visite royale) et la « chambre de feue madame d’Esquetot ».

L’une des caractéristiques les plus remarquables du domaine est son jardin d’agrément aménagé en terrasses, offrant une vue imprenable sur la vallée de la Seine. Cet aménagement paysager témoigne du raffinement de ses propriétaires successifs.

L’épreuve de la Seconde Guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le château d’Ételan connut un destin particulier. Les lieux furent occupés par les services vétérinaires de l’armée allemande, mais servirent également de refuge aux enfants de l’école St Michel du Havre lors de l’évacuation de juin 1943. Ces jeunes, accompagnés des religieux dirigeant leur école, trouvèrent dans ces murs ancestraux un abri pendant cette période trouble.

Une anecdote émouvante illustre cette période : en 1978, lors de travaux dans une cheminée de l’étage, on découvrit une lettre jamais envoyée écrite par l’un de ces enfants, accompagnée d’une photo. Le document évoquait un accident survenu à un jeune garçon nommé Serge Houël, qui perdit un œil durant son séjour au château.

Cette période d’occupation fut particulièrement néfaste pour le bâtiment. Un incendie accidentel détruisit une grande partie des toitures, qui ne purent être restaurées qu’après la guerre, grâce aux dommages de guerre. Malgré ces réparations, le château demeura longtemps un « corps blessé », particulièrement sa chapelle, dépouillée de ses vitraux et exposée aux intempéries.

Renaissance contemporaine : la famille Boudier

En 1974, un nouveau chapitre s’ouvrit pour Ételan lorsqu’une famille havraise, les Boudier, tomba amoureuse du lieu. Malgré son état de délabrement, ils décidèrent de l’acquérir, quittant leur confortable vie urbaine pour s’installer dans la maison des gardes, le château principal n’étant pas habitable. Parmi les nombreux inconvénients, l’absence de chauffage (on se méfiait des cheminées depuis l’incendie) et un trou de quatre mètres au milieu de la salle à manger témoignaient de l’ampleur du défi.

Consciente que la mission dépassait le cadre d’une simple propriété privée, la famille créa l’Association des Amis du Parc et du Château d’Ételan pour soutenir les efforts de restauration. Ce qu’ils n’avaient pas imaginé, c’est que les travaux s’étendraient sur trente années.

Aujourd’hui, si la restauration du château principal et de sa chapelle est achevée, il reste encore à réaménager les communs et à poursuivre l’entretien perpétuel qu’exige un tel monument. C’est désormais la deuxième génération de la famille Boudier qui a pris le relais, accompagnée même par une partie de la troisième, toujours soutenue par l’Association à laquelle chacun peut adhérer.

Un patrimoine préservé

Malgré les épreuves du temps, le château d’Ételan conserve son caractère unique. Son architecture, mêlant influences médiévales et premières expressions de la Renaissance, en fait un témoin exceptionnel de l’évolution des demeures seigneuriales normandes.

La position stratégique du château, son architecture soignée et son histoire liée aux grandes familles et aux événements majeurs du royaume font d’Ételan un site patrimonial de premier plan, où se lit encore aujourd’hui l’histoire de la Normandie et de la France.

Note : Le contenu historique et architectural de cet article provient en grande partie de la thèse de Xavier PAGAZANI « Demeures campagnardes de la petite et moyenne noblesse en haute Normandie (1450-1600) : pour une histoire architecturale d’une province française ».