Par Simone Arèse

L’HISTOIRE COMMENCE PAR… DES RUINES

Les ruines d’un château-fort, détruit sur ordre de Louis XI (1423-1483). On ne sait quasiment rien de ce premier château : ni quel seigneur le fit construire, l’habita, ni pourquoi Guillaume Picart, le propriétaire du moment, suscita un jour l’ire de son roi (fort judicieusement surnommé le Prudent!). Mais toujours est-il qu’il ne resta bientôt de son domaine que la maison des gardes, édifiée en 1350, peut-être en même temps que le château arasé.


Retrouvez ici nos articles dédiés à l’histoire du château.

C’EST À PARTIR DE 1494 QUE CE DOMAINE RENAÎT,
SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XII

C’est Louis Picard, bailli de Troyes et du Tournaisis qui fait construire un nouveau château, sur l’emplacement du précédent. D’autant plus nouveau que c’est le premier édifice « Renaissance » de la Normandie.
On peut supposer que ce Louis Picard d’Estelan, ami et chambellan du roi, qu’il accompagna en Italie, puisa son inspiration dans ce pays. Ou peut-être en ramena-t-il quelque architecte, divers artistes, comme ce serait bientôt de mode sous François 1er (1494-1547).

FRANÇOIS 1er

Ce roi vint à Dieppe pour y rencontrer son dévoué armateur Jehan Ango (qui se fit également construire un « palais d’été » dans le goût italien, à Varengeville) et il ordonna la construction d’un port, joliment baptisé Le havre de Grâce, en 1517.
Il se divertissait de chasse, depuis son manoir de Vatteville-la-rue, d’où on pouvait joindre Etelan en bateau, car la Seine, alors plus divagante qu’aujourd’hui, en léchait les abords. Il reste d’ailleurs, sous les terrasses, un anneau d’amarre, bien inutile à présent que le fleuve a été endigué et coule à distance, des champs ayant remplacé les marécages.

LA PÉRIODE COSSÉ-BRISSAC ET
LA VISITE DE CATHERINE DE MEDICIS

Louis Picard est mort en 1497. Sa petite-fille Charlotte d’Esquetot a épousé Charles de Cossé, maréchal de Brissac (1506-1564).Le château, dont la construction ne fut terminée qu’en 1514, restera dans cette famille jusqu’en 1621.
Il reçoit une autre visite royale, en 1563 : Catherine de Médicis (1519-1589). C’est la belle-fille de François 1er, veuve d’Henri II et régente des enfants de France. Le pays entier est alors troublé par les guerres de religion, et la Normandie donne particulièrement du souci à la régente catholique, la plupart des villes passées aux mains des Huguenots, et Le Havre à celles des Anglais, livré par le prince de condé à Elisabeth 1ere d’Angleterre.

LE SIÈGE DU HAVRE
(1562-1563)

Catherine de Médicis ordonne donc à Charles de Cossé-Brissac, son maréchal, qui avait bien guerroyé en Piémont, d’aller mettre de l’ordre dans cette province de l’ouest. Elle avait pourtant écrit à son sujet, juste après l’assassinat du duc de Guise : « Nous n’avons plus d’hommes pour commander notre armée, sauf le maréchal de Brissac, mais il n’est pas capable de le faire. Néanmoins, je dois le lui laisser croire. En attendant, c’est moi qui devrai commander et jouer le rôle de capitaine ». Le maréchal installe donc son quartier général à Etelan, et emmenant avec lui son fils Timoléon, nommé colonel à 15 ans, il va assiéger le Havre le 23 mai 1563. La ville n’est toujours pas prise en juin, alors qu’une épidémie de peste en décime pourtant la garnison, et que troupes catholiques et protestantes, exceptionnellement unies contre l’ennemi commun, participent au siège, renforcées par des troupes piémontaises. C’est alors que Catherine décide de paraître en Normandie, pour galvaniser l’ardeur de ces troupes. Elle s’installe d’abord à l’abbaye de Fécamp, avec son fils Charles IX (1550-1574).
Warwick, qui tenait le Havre, se rend finalement, le 23 juillet, non pas au loyal maréchal mais à Montmorency, qu’entre temps Catherine a nommé commandant de l’armée. Ayant reçu cette reddition, Catherine et son fils viennent passer deux jours à Etelan, chez son vaillant maréchal. Elle ne s’y repose pas vraiment, rédigeant les « Lettres de majorité » de Charles IX, sur les conseils avisés de Michel de l’Hospital.

LES « LETTRES DE MAJORITÉ »
DE CHARLES IX

Charles IX n’est pas encore majeur au regard de la loi, car il s’en faut de quelques mois pour qu’il ait 14 ans. Mais le parlement de Rouen est moins pointilleux que celui de Paris. Catherine peut donc précipiter cet évènement capital, organisé avec pompe, comme il se doit : Charles IX fait une entrée solennelle à Rouen le 16 Août et tient, le 17, une séance au parlement, qui l’intronise.
Ce fut la dernière visite royale à Etelan. Et le château changea ensuite plusieurs fois de propriétaires. On peut en lire les noms sur une plaque de marbre située à l’intérieur du château.

LES VISITEURS PRESTIGIEUX
DU CHÂTEAU D’ÉTELAN

Mais, faute de têtes couronnées le château vit encore passer quelques personnalités artistiques.
Voltaire (1694-1778) rendait probablement visite, en ces années 1723-1724, au propriétaire et ami du moment : Jean-François Henault, président au parlement de Paris et surintendant de la Maison de la Reine Marie Leczinska (1703-1768).
Gustave Eiffel (1832-1923) s’y arrêta également, peut-être lui aussi sur la route du Havre pour assister au départ de sa statue de la liberté (en pièces détachées) vers les Etats-Unis?
Et pour finir, André Caplet (1878-1925) compositeur, Grand prix de Rome, y séjourna régulièrement, achevant en ce lieu sa célèbre messe à trois voix.

XIXème et début XXème:
UNE DEMEURE BOURGEOISE

Le château avait, au fil des siècles, subi quelques transformations, un étage posé un temps au-dessus de l’escalier (voir gravure en en-tête. La légende prétend que c’était pour tenir enclose la jeune fille de la maison, afin de s’assurer qu’elle arriverait vierge à son mariage !) et son rez-de-chaussée prolongé d’une aile et affublé d’un jardin d’hiver. Ces extensions furent détruites ultérieurement. Resta la barbacane (époque Violet-le-duc) à l’entrée du domaine.


Retrouvez ici nos articles dédiés à l’histoire du château.

LA GUERRE

Pendant la seconde guerre mondiale, les lieux furent occupés par les services vétérinaires de l’armée allemande, mais servit également de refuge aux enfants de l’école St Michel du Havre (évacuation de juin 1943). Ils étaient accompagnés des religieux dirigeant cette école. Une lettre écrite par un de ces enfants, jamais envoyée, mais accompagnée d’une photo, fut retrouvée en 1978, lors de travaux dans la cheminée de l’étage.
Le jeune accidenté dont il est fait état s’appelait Serge Houël. Il y perdit un œil (informations transmises par Jacques Cauvin).
Durant cette triste période d’occupation allemande un incendie accidentel détruisit une grande partie des toitures du château, qui durent attendre les dommages de guerre pour être refaites. Le château demeurait cependant un grand corps blessé, particulièrement sa chapelle, dépouillée de ses vitraux, ouverte à tous les vents.
Allait-il tourner ruines, comme le château précédent?

DE 1974 À AUJOURD’HUI:
UN NOUVEAU SOUFFLE

En 1974, une famille havraise, les Boudier, tomba amoureuse de ce lieu, et malgré son état, décida de l’acquérir, quittant sa confortable vie urbaine pour s’installer dans la maison des gardes, le château n’étant pas habitable, avec, entre autres inconvénients, son absence de chauffage (on se méfiait des cheminées depuis l’incendie), et un trou de quatre mètres au milieu de la salle à manger.


Retrouvez ici le récit de François Vicaire, journaliste et écrivain, dans lequel il relate la découverte, l’acquisition et la restauration du château d’Ételan par la famille Boudier entre 1975 et 2010.

L’ASSOCIATION

Devant l’ampleur des travaux, et parce que cette famille songeait plus à restaurer un patrimoine qu’à en être les simples propriétaires, elle créa bientôt l’Association des amis du parc et du château d’Etelan.
Mais ce que n’imaginait pas cette famille enthousiaste, c’est que les travaux dureraient …trente ans!
Et, les travaux terminés (concernant château et chapelle), il reste encore à ré-aménager les communs…
… sans oublier l’entretien général des lieux, sur lequel le temps a toujours prise.
C’est à présent la seconde génération de cette famille qui a pris le relai, et même une partie de la troisième, toujours accompagnée de l’Association, à laquelle chacun peut adhérer.