
Le château d’Etelan, magnifiquement situé sur une crête dominant la vallée de la Seine, constitue un exemple remarquable de l’architecture seigneuriale normande de la fin du XVe siècle. Son architecture témoigne à la fois de l’ancrage dans les traditions locales et d’une recherche d’innovations qui préfigurent certains aspects de la Renaissance française. Cet article propose une analyse détaillée des caractéristiques architecturales qui font la singularité de ce château.
Une implantation remarquable : le dialogue avec le paysage
La première caractéristique marquante d’Etelan est son implantation exceptionnelle, tirant parti d’un site de crête qui offre un panorama spectaculaire sur la vallée de la Seine. Contrairement à de nombreux manoirs fortifiés de l’époque médiévale qui privilégiaient une position défensive repliée, Etelan s’ouvre résolument sur le paysage. Cette orientation délibérée témoigne d’une évolution des mentalités à la fin du XVe siècle, où l’aspect défensif cède progressivement la place à la recherche du confort et de l’agrément.
Les aménagements en terrasses étagées sur le versant sud, soutenus par des murs en petit appareil de pierre renforcés de contreforts, révèlent cette volonté de prolonger l’architecture dans le paysage. Ces terrasses, qui accueillaient jadis jardins d’agrément et vergers comme le confirme un dessin de 1791, constituent une des premières manifestations en Normandie de ce qui deviendra un élément essentiel de l’architecture de plaisance : l’intégration de l’édifice dans un environnement paysager maîtrisé.
Une composition tripartite unique
Le logis seigneurial d’Etelan présente une composition tripartite qui le distingue de nombreux autres manoirs contemporains :
- Un corps de logis principal rectangulaire (environ 18,30 x 7,90 m)
- Un corps secondaire presque carré, adossé à l’ouest du corps principal
- Une chapelle à l’est
- Une tour d’escalier rectangulaire insérée dans l’angle rentrant formé par les deux corps de logis
Cette disposition complexe, qui s’éloigne du plan compact habituellement adopté par les manoirs normands de l’époque, témoigne d’une conception réfléchie, probablement inspirée par le manoir du Mesnil-sous-Jumièges (résidence aux champs de l’abbaye bâtie à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle).
Une « maison plate » entre tradition et modernité
Etelan se présente comme une « maison plate », c’est-à-dire sans fossés et presque dépourvue de tours défensives, à l’exception de la tour d’escalier. Cette caractéristique reflète une évolution significative : la transition entre l’architecture défensive médiévale et l’architecture résidentielle de la Renaissance. Les éléments décoratifs et le confort prennent le pas sur les considérations purement défensives, même si quelques éléments militaires subsistent, comme la petite canonnière à embrasure intérieure présente dans le mur des terrasses.
Les matériaux : le mariage distinctif de la brique et de la pierre
Un des traits les plus caractéristiques d’Etelan est l’utilisation différenciée des matériaux selon les niveaux :
- Rez-de-chaussée en pierre de taille
- Premier étage en assises alternées de briques et de pierres
- Toiture en ardoise
Cette alternance de matériaux, typique de l’architecture normande de la fin du XVe siècle, se retrouve dans d’autres édifices contemporains comme Les Loges, Argueil et Anquetierville. À Etelan, cette mise en œuvre distinctive est particulièrement soignée et confère au bâtiment son caractère polychrome si caractéristique.
Il est intéressant de noter que cette utilisation des matériaux n’est pas seulement décorative mais aussi chronologique : les parties plus anciennes (XIIIe-XIVe siècles) conservées lors des reconstructions du XVe siècle sont généralement en petit appareil de pierre, tandis que l’alternance brique-pierre marque les constructions de l’époque des Picard.
Les ouvertures : témoins de l’évolution du style
Les fenêtres constituent un élément architectural particulièrement révélateur de l’histoire du bâtiment :
- Les fenêtres à meneau du premier étage, avec leur ébrasement à deux chanfreins séparés par un réglet au même nu que le listel du croisillon, sont caractéristiques des constructions des années 1470.
- Les lucarnes qui les surmontent, encadrées par des pilastres carrés, un fronton à fleurons, mouchettes et étrésillons gothiques, avec un ébrasement animé de fins listels, sont comparables à celles de Clères, Martainville et Normanville, construits aux alentours de 1500.
Cette différence stylistique confirme les deux grandes phases de construction identifiées dans les documents historiques : une première campagne sous Guillaume Picard (entre 1468 et 1475) et une seconde sous Louis Picard (entre 1494 et 1496).
La tour d’escalier : une innovation remarquable
L’élément architectural le plus surprenant d’Etelan est sans conteste sa tour d’escalier rectangulaire. Contrairement aux escaliers en vis logés dans des tours rondes ou polygonales qui caractérisent la plupart des manoirs contemporains, celui d’Etelan présente plusieurs particularités révolutionnaires :
- Un plan rectangulaire hors-œuvre
- Une cage ouverte à chaque niveau par trois grandes arcades en plein-cintre
- Une couverture originelle en terrasse (remplacée ultérieurement)
- Un escalier à rampes droites et moitiés tournantes
Cette conception innovante crée, à chaque niveau, un grand palier ouvert sur la cour par les arcades, formant ainsi une sorte de loggia qui relie les deux corps de logis. Cette disposition permettait aux habitants de se tenir au frais tout en observant l’activité de la cour, une fonction à la fois pratique et d’agrément qui préfigure certains aspects de l’architecture de la Renaissance.
La position même de la tour, sur cour et non sur la façade arrière comme c’était l’usage local, constitue une autre innovation significative. Ce choix a permis de dégager la façade postérieure et de l’ouvrir largement par cinq grandes fenêtres au rez-de-chaussée, maximisant ainsi les vues sur le jardin en terrasses et le panorama de la vallée.
L’organisation intérieure : entre représentation et fonctionnalité
Bien que largement modifiée au fil des siècles, l’organisation intérieure d’origine peut être partiellement restituée grâce à l’analyse archéologique du bâti et à l’inventaire de 1557. Le château présentait une distribution typique des grandes demeures de l’époque :
Au rez-de-chaussée :
- Une grande salle (appelée « salle aux pilliers » dans l’inventaire)
- Une salle pavée (probablement une sallette de réception)
- Une cuisine et une sommellerie dans le corps secondaire
À l’étage :
- Une « grande chambre » avec sa garde-robe et un cabinet
- Une « chambre d’Esquetot » (chambre du maître)
- Une « chambre de la Royne » et une « chambre de feue madame d’Esquetot » avec leurs annexes
L’accès à la cave se faisait par un ingénieux système d’escaliers, avec une disposition qui se retrouve dans d’autres manoirs comme Martainville et le Val d’Arques.
Conclusion : un témoignage de l’évolution architecturale en Normandie
Le château d’Etelan constitue un exemple remarquable de l’évolution de l’architecture seigneuriale en Normandie à la fin du XVe siècle. Ses caractéristiques architecturales reflètent la transition entre les préoccupations défensives médiévales et la recherche de confort et d’harmonie esthétique qui caractériseront la Renaissance.
Le bâtiment témoigne également de l’histoire de ses commanditaires. Les différentes campagnes de construction retracent l’ascension sociale des Picard : Guillaume, issu de la bourgeoisie administrative, fait construire un manoir qui s’inscrit dans les codes architecturaux de son temps (1468-1475), tandis que son fils Louis, désormais intégré à la noblesse, apporte des innovations plus audacieuses (1494-1496) avec notamment la remarquable tour d’escalier.
Malgré les nombreuses modifications apportées au cours des siècles, particulièrement lors des campagnes de restauration du XIXe siècle, le château d’Etelan conserve l’essentiel de ses caractéristiques architecturales originelles. Ces éléments en font aujourd’hui un témoin précieux de l’évolution des formes architecturales en Normandie à l’aube de la Renaissance, illustrant le passage progressif d’une architecture défensive à une architecture de plaisance où l’agrément, la vue et le confort prennent une importance croissante.
Note : Le contenu de cet article provient en grande partie de la thèse de Xavier PAGAZANI « Demeures campagnardes de la petite et moyenne noblesse en haute Normandie (1450-1600) : pour une histoire architecturale d’une province française ».
Par Basile Boudier
Publié le samedi 26 avril, 2025
Derniers articles
avril 26, 2025
avril 26, 2025