En 1975, mes grands-parents prenaient une décision audacieuse : racheter le Château d’Ételan, alors en grand péril. Ce texte, écrit par Jacques Boudier (1924-1999), mon grand-père, raconte avec émotion et sincérité les débuts de cette aventure hors du commun. Il témoigne de leur attachement profond à ce lieu chargé d’histoire et de leur volonté de lui redonner vie, non seulement pour leur famille, mais aussi pour le partager avec d’autres à travers l’animation artistique.
Je souhaite aujourd’hui publier ce témoignage pour honorer leur engagement et faire vivre, à travers leurs mots, l’esprit qui continue d’animer le Château d’Ételan.

C’est en 1975 que nous décidions de racheter le CHÂTEAU D’ETELAN, vieille demeure classée de style gothique flamboyant, construite en 1494 par Louis PICARD. Les siècles, la guerre et de nombreuses vicissitudes ont durement marqué le bâtiment en qui beaucoup ne voit plus qu’une ruine en puissance.

Pour nous, ce qui nous séduit au premier abord, c’est un site exceptionnel, un environnement qui semble avoir défié le temps ; et pourtant… : nous sommes situés dans un îlot de verdure, une coupure verte de 40 kms au milieu des Industries de la Basse-Seine.

Nous ne voyons pas, ou ne voulons pas voir que le Château, malgré certains travaux de sauvegarde, est pratiquement perdu ! Que les communs s’écroulent ; que la maison des Gardes où nous avons décidé d’habiter, ne comprend que quatre murs, une charpente superbe mais un toit qui s’écroule. Que dire du Parc… mot pompeux pour décrire une prairie envahie d’herbes folles et d’orties, agrémentée d’une superbe hêtraie et d’une belle chênaie où les ronces nous empêchent de pénétrer et où les arbres morts dressent des barricades incontournables.

Nos amis sont consternés, le village nous prédit une fuite rapide et sans gloire, quant à la famille, on parle, à mots couverts, de mégalomanie.

Nos trois fils et nous-mêmes, sommes pourtant parfaitement heureux ; nous nous refusons à tirer des plans sur la comète ; nous jouissons du moment présent et commençons à faire aménager la “Maison des Gardes” qui va devenir notre “chez nous”, le centre nerveux de toute l’aventure d’Etelan.

Un an plus tard, après un été 1976 merveilleux pendant lequel nous avons vécu comme des romanichels, sans eau, sans électricité, sans toit, notre maison est enfin aménagée, elle est confortable, chaleureuse ; nos amis de la ville commencent à y venir avec plaisir. C’est à ce moment que nous nous tournons vers le château, mis jusqu’ici entre parenthèses, en nous disant que, tout compte fait, il n’est peut-être pas impossible, en prenant du temps, d’arrêter sa dégradation et, peut-être même, de commencer une restauration. Restauration qui, eu égard aux besoins immenses et à nos moyens modestes, prendra de nombreuses années mais aura le mérite de conserver aux générations futures, ce témoin de la Renaissance normande.

Cependant, cette idée ne nous satisfait pas complètement : Est-ce que le château ne vaut-il pas mieux que de devenir une sorte de résidence secondaire à 100 mètres de notre demeure, où nous pourrions profiter d’un beau décor, agrémenté d’une vue superbe, où nous pourrions faire des réunions de famille, entourés de nos enfants et petits-enfants ?

Était-ce suffisant pour faire revivre le château ?

C’est alors que l’idée nous vient d’animer le Bâtiment, c’est-à-dire de faire partager à d’autres le bonheur que nous y trouvons : nous allons utiliser le Château à des fins artistiques. En effet, quoi de plus enrichissant que d’écouter du Mozart dans le Grand Salon, devant un feu de bois qui crépite, de regarder des tableaux anciens ou contemporains dans la Grande Chambre d’Esquettot, belle salle dont les murs et la vue décuplent le plaisir dispensé par les peintres. De se promener dans le Parc au milieu de statues qui prennent toutes leurs dimensions et leur plénitude dans le cadre d’un Bâtiment qui fut l’expression d’une époque et qui démontre que l’art est quelquefois rupture mais aussi continuité…

Voilà de quoi nous rêvions en 1977 quand, grâce au Préfet de Région et au Sénateur-Maire de la Commune, l’État, le Conseil Régional, le Conseil Général, le Parc Naturel Régional de Brotonne, les “Amis du Château d’Etelan” et nous-mêmes, mettons sur pied un plan de cinq ans qui aboutit à une restauration que nous avions envisagée de faire sur une trentaine d’années….et même, pour certains travaux, jamais….

Par Basile Boudier

Publié le mercredi 26 avril, 2023

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